Révélations sur la maxime « L’homme est un loup pour l’homme »
A la question: « qu’avez-vous retenu de vos cours de philo au lycée? », quelle est la première chose qui vous vient en tête?
Prenez le temps de réfléchir, y’ a pas de soucis, on est entre nous.
…
(bon, pas trop longtemps quand même, on va pas y passer la journée)
…
Alors?
Si c’est la célèbre maxime de Plaute, « l’homme est un loup pour l’homme » (« Homo homini lupus est » en VO), j’en étais sûr!
(faut dire que le titre de l’article a peut-être un peu faussé la donne.)
Si vous avez pensé à autre chose bah… dites-le toujours dans les commentaires, ça fera un bon sujet de conversation.
« L’homme est un loup pour l’homme »… Devenue le slogan de la philosophie bon marché en vente dans toutes les bonnes épiceries, cette citation de Plaute (255-184 avant JC) n’est pourtant pas aussi pessimiste sur la nature humaine qu’elle en a l’air!
Et d’abord, c’est qui, ce Plaute?
Le Romain Titus Maccius Plautus (Plaute pour les intimes) écrit vers 212 avant Jésus-Christ la Comédie des Ânes, dont il place l’action en Grèce. Loin d’être un penseur ou un philosophe, Plaute est un simple amuseur public qui se contente de faire rire les foules avec des comédies déjantées. Son nom (un pseudonyme) nous met vite dans le contexte: Maccius signifie « grosse mâchoire » et Plautus « pieds plats »… on a fait plus sérieux comme pseudonyme, vous l’admettrez!
Ironie de l’histoire, le monde entier se souviendra pourtant de lui plus de deux millénaires après sa mort non pour les centaines d’œuvres comiques qu’il a écrites, mais pour une maxime « philosophique » qui, sortie de son contexte, n’a plus du tout le sens que voulait lui donner l’auteur! Plaute doit se tordre de rire dans sa tombe…
Éclaircissement
Dans sa Comédie des Ânes, donc, Plaute met en scène un marchand qui refuse de confier son argent à un inconnu, malgré les efforts que fournit ce dernier pour le convaincre. « Mais enfin, quoi, j’te jure, tu trouveras pas un homme plus honnête que moi dans tout Athènes! », lui dit en substance l’inconnu.
Rien n’y fait. Le marchand campe sur ses positions et, pour se justifier, préciseu’il n’a aucune raison de lui faire confiance, puisque « l’homme est un loup pour l’homme, quand on ne sait pas qui il est. »
QUAND ON NE SAIT PAS QUI IL EST!!!!
Prends ça dans tes dents, prof de philo de Terminale (c’est ma vengeance personnelle et gratuite de tes cours soporifiques qui m’ont fait détester la philo à l’époque!). Mine de rien, ne relever que la première partie de la phrase, la sortir totalement de son contexte et en faire le symbole du pessimisme le plus noir sur la nature humaine, c’est TOTALEMENT MALHONNÊTE comme procédé!
Morceau choisi: (traduction d’Edouard Sommer, grammairien français, traducteur du grec et latin (1822–1866))
LÉONIDAS: Suis-moi donc. Soit dit sans me flatter, on n’a jamais eu rien à me reprocher, et il n’y a aujourd’hui dans Athènes personne à qui l’on puisse se fier mieux qu’à moi.
LE MARCHAND: Possible; mais vous ne m’amènerez pas à vous remettre cet argent sans vous connaître. L’homme qu’on ne connaît pas n’est pas un homme, c’est un loup.
LÉONIDAS: Oh, oh! on baisse le ton. Je savais bien que vous me donneriez satisfaction aujourd’hui de vos injures. J’ai de méchants habits, soit, mais je suis un brave homme, et bien fin celui qui calculerait mes épargnes.
Pour les lecteurs les plus motivés, vous pouvez lire La Comédie des Ânes en version intégrale ici.
Franchement, vous avez pas l’impression de vous être fait rouler dans la farine, vous?
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Yep, la fin de la phrase relativise quand même pas mal le sens si négatif qu’on lui porte. Mais cela me fait quand même me demander:
Quand connais-t-on vraiment un homme cependant? 😯
Un peu comme si, dans 2000 ans, Jean-Marie Bigard était cité et une phrase de ses sketches analysée par des générations entières d’étudiants.
Assez cocasse, effectivement
« C’est pour dîner ? Non c’est pour faire un tennis, connard ! »
Vous avez quatre heures.
Nostalgie… moi, j’aimais bien la philo, mais j’y comprenais rien!
Je croyais quant à moi qu’elle était de Hobbes cette expression…
L’homme est-il un loup pour l’homme: c’est évident!
Qu’il soit à l’etat de nature (où la propriété n’existe pas) ou à l’etat civilisé, on ne peut pas le nier!
En effet cette déclaration est bel et bien de Thomas Hobbes, contemporain et grand critique de Descartes. Par contre, la suite est que ‘à l’état sociétal, l’Homme est un dieu pour l’homme. Cette fin amenant à prôner un chef suprême protégeant tous ses sujets. Mais bref, c’est un long débat et confondre Plaute et Hobbes est digne de La comédie des Ânes « .
Plaute aurait aimé ce post et j’irais jusqu’à imaginer une rencontre avec les deux hommes. Peut-être Hobbes aurait-il finalement revu toute sa pensée politique et philosophique. » Homo homini lupus est » a donc tellement marqué les générations suivantes qu’on a oublié le pauvre Plaute, ainsi que Sénèque et tant d’autres qui, partant de cette constatation, ont amené tous ces grands noms à des opinions différentes. Tous nous offrent une panoplie d’analyses plus intéressantes les unes que les autres, nous laissant la liberté de nous poser, nous aussi, en philosophe afin d’en donner notre point de vue.
Intéressant, preuve que tout est manipulable. On prend ce qu,on veut dans un texte et hop, on fait dire ce que l’on veut à l’auteur… trop facile…
Oui … parce que « Texte sans contexte n’est que prétexte » ! (Source : Dixit un Prof de Lettres)
Que la phrase soit sortie de son contexte, ce n’est pas très grave.
Ce qui est important, c’est le message que la maxime veut faire passer. Et oui, l’Homme n’a jamais autant été un loup pour l’homme qu’aujourd’hui.
Au contraire, c’est très grave de sortir une phrase de son contexte. C’est ce qui la fait passer pour une citation banale et fait table rase de ce qui précédait et suivait. Cela est semblable à l’interprétation de la Bible par les témoins de Jéhovah et donc peut finir entre des mains qui en feront une utilisation dangereuse ou pas. N’oublions jamais, par exemple, que Plaute n’avait pas terminé sa phrase à cet endroit mais bien ici : «Lupus est homo homini, non homo, quom qualis sit non novit ». A noter aussi : Plaute ne formule pas ce qui est devenu un sujet de bac de la façon dont on nous la soumet.Il est parfois fascinant de reprendre une traduction littérale : Loup est l’homme pour les hommes, non un homme, pour ceux qui ne le connaissent pas …
Je crains qu’il y ait une légère confusion. Si je puis me permettre, le prof de terminale ne faisait probablement pas tant allusion à Plaute qu’à Hobbes, qui reprenait certes cette phrase, mais qui était, lui, bel et bien un philosophe. La portée qu’il lui donnait était alors tout autre, allant d’ailleurs jusqu’à dire que la nature de l’animal est moins redoutable que celle de l’homme dont l’appetit ne connait pas de limite…
C’est bien ça. C’est bien la maxime de Plaute qui a été sortie de son contexte (une simple comédie sans prétention) et utilisée par d’autres philosophes (Hobbes et bien d’autres) pour justifier une vision pessimiste de la nature humaine.
Faut arrêter de toujours chercher la petite bête pour tenter d’avoir raison. Dans 99% des cas, c’est vous qui êtes à côté de la plaque, les gars…
Je ne peux plussoyer que mille fois ! … et je ris bien des correcteurs d’orthographe qui ignore que ce verbe existe bel et bien !
Article intéressant. Puisque nous sommes invités à le dire dans les commentaires si la première phrase qui nous vient à l’esprit en repensant à nos cours de philo n’est pas la même, eh bien je donne la mienne : « Je pense donc je suis », de Descartes. Ego cogito ergo sum, vu qu’on s’amuse à parler latin ici ! Je pense que tout le monde a passé quelques heures dessus en terminale, ce qui a pu donner lieu à quelques contresens également. Bref, bonne continuation à ce site.
Qu’il s’agisse de comédie ou de philosophie, le résultat est le même dans notre quotidien, le vécu et le concret : le loup est un prédateur qui ne s’embarrasse pas de morale quand il a faim et soif ; l’homme qui en apparence raisonne, a la même attitude que le loup, mais pire encore, il est un prédateur pour son semblable. Le nanti pour le pauvre, le nanti pour le nanti, le pauvre pour le pauvre,…le rusé pour le simple, le rusé pour le rusé, le simple pour le simple,… le fort pour le faible…
Vous avez oublié Machiavel
Autre exemple : Tout le monde connaît le « Dieu est mort » de Nietzche …
Mais on connaît moins la fin de sa phrase : « C’est sa pitié pour les hommes qui l’a tué » !
Sans commentaire !!!