Une Histoire birmane, de George Orwell
On connaît surtout George Orwell (de son vrai nom Eric Arthur Blair, 1903-1950) pour son roman visionnaire 1984 dont les concepts de Big Brother et de Novlangue passèrent à la postérité. Ce que l’on sait moins, c’est qu’Orwell, né aux Indes, s’engage à l’âge de 21 ans dans la police impériale de l’actuelle Birmanie, qui n’est alors qu’une province de l’empire des Indes. Écœuré par le racisme ambiant et opposé à l’impérialisme britannique, il démissionne 5 ans plus tard, rentre en Angleterre et se consacre pleinement à l’écriture.
Son livre Une Histoire birmane (titre original Burmese days) est directement inspiré de son expérience dans le pays. Le personnage principal est Flory, fonctionnaire britannique affecté dans un village de haute-Birmanie, au Nord de Mandalay. Seule une poignée d’hommes blancs vivent dans le secteur, réunis au sein d’un club privé strictement interdit aux indigènes dans lequel Flory est obligé de supporter les mêmes conversations xénophobes depuis des années.
Flory est un homme lucide et intellectuel. Il porte sur l’attitude britannique un regard critique, considérant les Anglais comme des négriers de la pire espèce (« Le fonctionnaire maintient le Birman à terre tandis que l’homme d’affaires lui fait les poches »). Mais Flory a un gros défaut: complexé depuis sa plus tendre enfance par une vilaine tâche de naissance lui recouvrant la moitié du visage, il est lâche et refuse la confrontation verbale avec ses compatriotes. Il se contente d’acquiescer vaguement depuis des années aux propos ouvertement racistes des autres membres du club, et tient en horreur sa propre lâcheté.
La soupape de décompression de Flory, c’est son ami birman Veraswami, directeur et médecin en chef de la prison du district. Avec lui, il est libre d’exprimer le plus profond de sa pensée et expose avec ferveur son dégoût pour l’empire britannique. La situation est ubuesque: depuis des années qu’ils se connaissent, c’est le médecin birman qui tente de persuader le fonctionnaire britannique du bien-fondé de l’action des Anglais!
« – Quel mensonge, cher ami?
– Mais voyons, celui qui consiste à prétendre que nous sommes ici pour le plus grand bien de nos frères de couleur alors que nous sommes ici pour les dépouiller, un point c’est tout. (…) Nous pourrions être à peu près supportables pour peu que nous voulions bien admettre que nous sommes des voleurs et que nous continuions à voler sans complexes. »
L’arrivée dans le village de la jeune et ravissante Elisabeth, 22 ans, nièce d’un des membres du club, qui vient de perdre ses parents en Europe, va chambouler le cœur de Flory. Se pourrait-il qu’Elisabeth puisse le comprendre et briser sa solitude qui lui pèse chaque jour d’avantage? Il aura en tout cas bien du mal à lui ôter tous les préjugés dont elle est, elle aussi, imprégnée, et cela pourrait bien lui briser définitivement le cœur…
Portrait de George Orwell
Dans le même temps, le sombre U Po Kyin, petit fonctionnaire birman plein d’ambition, fomente un complot diabolique pour faire tomber son ennemi, le docteur Veraswami. Faire des mauvaises actions et prendre le risque de ressusciter en serpent ou en grenouille, U Po Kyin, pour le moment, n’en a cure. Quand il aura grimpé un à un tous les échelons, il aura alors le temps de racheter ses mauvaises actions passées en finançant la construction de multiples pagodes. En attendant, meurtres, diffamations, manipulations: U Po Kyin est prêt à tout pour faire tomber en disgrâce Versawami, au grand dam de son épouse qui le voit s’enfoncer jour après jour dans la haine et la perfidie.
L’amitié entre le docteur Veraswami et Flory survivra-t-elle aux intrigues de U Po Kyin? Flory parviendra-t-il à conquérir le cœur d’Elisabeth? Au-delà de l’histoire à proprement parler qui vous tiendra en haleine (et du style, il faut bien l’admettre, encore un peu balbutiant du jeune auteur), c’est une véritable plongée dans l’empire colonial des années 1920 qui vous attend… et dont vous ne sortirez certainement pas indemne!
On se laisse sur un extrait, dialogue édifiant entre un colon britannique et son maître d’hôtel…
– Il vous reste encore de la glace?
– À peu près 20 livres, maître. Ça fera à peine la journée, je crois. J’ai de la difficulté à garder la glace au frais.
– Parlez pas comme ça, espèce de… « J’ai de la difficulté… » Non, mais vous avez avalé un dictionnaire, ma parole! « S’il vous plait, maître, moi pas pouvoir garder glace au frais » – voilà ce qu’il faut dire. On sera obligé de balancer ce citoyen là s’il se met à trop bien parler anglais. Je ne peux pas blairer les domestiques qui s’expriment en bon anglais. Vous m’entendez, maître d’hotel?
– Oui, maître, dit le maître d’hôtel en se retirant.
Si tout ça vous a donné envie, faites-vous plaisir! Le livre est en vente ici: Une histoire birmane
____________________________________
Vous avez aimé cet article ? Alors j'ai besoin de vous ! Vous pouvez soutenir le blog sur Tipeee. Un beau geste, facile à faire, et qui permettra à EtaleTaCulture de garder son indépendance et d'assurer sa survie...
Objectif: 50 donateurs
Récompense: du contenu exclusif et/ou en avant-première
Je vous remercie pour tout le soutien que vous m'apportez depuis maintenant 5 ans, amis lecteurs!
Djinnzz
PS: ça marche aussi en cliquant sur l'image juste en dessous ↓↓↓↓
Voilà, livre commandé
Sur ce coup, je vous fais confiance… J’espère que je ne serai pas déçue! 😀
Tricherie!!!
La photo est prise à Bagan alors que le livre se passe près de Mandalay!
😛
« – Mon cher docteur, dit Flory, comment pouvez-vous imaginer que nous sommes ici pour autre chose que pour voler notre prochain ? C’est pourtant très simple. Le fonctionnaire maintient le Birman à terre tandis que l’homme d’affaires lui fait les poches. (…)
– C’est monstrueux ce que vous dites-là ! Regardez cet hôpital et plus loin sur la droite cette école, ce poste de police. Regardez donc tous les progrès de la civilisation moderne !
– Je ne nie évidemment pas, dit Flory, que nous ayons modernisé ce pays dans une certaine mesure. Nous ne pouvons faire autrement. En réalité, nous aurons, avant d’en avoir terminé, bousillé toute la culture birmane. »
Les deux visions se valent… Amener le progrès et la civilisation dans certains pays (Afrique ou Asie), est-ce vraiment une bonne chose?
Les Occidentaux le feraient-ils s’il n’y avait pas d’intérêts géopolitiques ou financiers?
Vaste débat…
Dans le dernier extrait que vous proposez, concernant l’appauvrissement de la langue parlée par les autochtones, j’y vois quant à moi une préfiguration de la pensée politique d’Orwell qu’il développera dans 1984.
Eh, oui, qu’est ce d’autre que la Novlangue, cette langue simplifiée à l’extrême imposée par un Etat tout-puissant?
Sans la connaissance d’une langue développée, il est impossible de développer une pensée construite et donc de s’opposer au régime en place…
J’adore Orwell, je ne savais pas qu’il avait un passé colonial mais, à bien y réfléchir cela explique bien des choses!
Au plaisir de vous lire,
Un livre dur, sans concessions: les coloniaux sont des ivrognes, des individus brutaux et avides… à la limite de la bêtise crasse… les indigènes ne valent guère mieux. Toute la misère humaine dans un climat humide… un racisme latent, une incompréhension totale entre les individus mis en présence. Profondément humain. Noir mais avec des pointes d’ironie. Attachant…. Bonne préparation avant un voyage en Birmanie. Donne un éclairage cru et sans illusions sur la nature humaine.
Voilà, je viens de finir ce très beau roman à l’instant.
Il n’est pas très épais et se lit plutôt vite (6-7 heures je dirais)
C’est très dur… tous les éléments du drame final se mettent en place petit à petit au fil des pages, et on sent bien que tout ça va mal finir…
Je n’en dis pas plus au risque de spoiler, mais je ne regrette pas ma lecture!
C’est décidé, maintenant, j’attaque 1984!
Merci pour la découverte
Eh ben t’es une rapide toi!
Je n’ai jamais autant lu que depuis que je suis au chômage…
(je ne sais pas si je dois m’en réjouir ou en pleurer…) 🙁