Zeus est en colère: ses espions lui rapportent que les hommes se conduisent comme des animaux de la pire espèce: meurtres, trahisons, adultères, tromperies,… Pas un seul vice ne leur fait défaut. Pire! Pas un seul homme sur Terre ne semble être doté d’un cœur suffisamment pur pour racheter les pêchés de ses semblables.

Désireux de juger de la situation par lui-même, le dieu des dieux quitte sa demeure douillette sur l’Olympe et se rend sur Terre, déguisé en simple mortel.

Ses premiers pas l’amènent en Arcadie, royaume du tyran Lycaon. Zeus se rend compte qu’on ne lui a pas menti. Derrière les sourires apparents des habitants, il discerne la cruauté dans leur regard. Il voit un monde où les plus forts usent et abusent des plus faibles, un monde où la compassion semble ne pas avoir sa place. Très vite, le peuple comprend que sous les traits de ce vieillard vêtu de loques se cache en réalité un dieu. Aussitôt, tous se mettent en prières et implorent son pardon pour la noirceur de leur âme et l’horreur de leurs actes. Tous? Non! Lycaon, en irréductible, ose défier le prétendu dieu. Fomentant un stratagème diabolique, il invite le voyageur le soir-même à venir s’asseoir à sa table.

– Mouahahah! Enfin un adversaire à ma taille! Nous verrons bien qui de nous deux aura le dernier mot!

– Seigneur… Si je peux me permettre… Ne… Ne trouvez-vous pas qu’il est un peu risqué de se confronter à un dieu?

– Un dieu? Je ne vois en ce vieillard décharné qu’un misérable qui peine à mettre un pied devant l’autre!

– Mais, Seigneur…

– Silence, vermine! Va plutôt me chercher Arcas, ce jeune esclave bon à rien!

– B.. bien, maître.

Le serviteur de Lycaon s’exécute et présente Arcas devant le roi d’Arcadie. Celui-ci le fait s’agenouiller et, d’un violent coup d’épée, l’égorge comme une bête. « Qu’on fasse cuire ce malheureux et qu’on le serve ce soir au souper! Que mes meilleurs cuisiniers se mettent à la tâche! », ordonne-t-il. En servant de la viande humaine à son hôte, Lycaon compte bien prouver sa toute-puissance à l’ensemble de son peuple.

Quelques heures plus tard, le vieillard arrive au palais à l’heure convenue et s’installe à la table du monarque. Les serviteurs commencent à amener des plats fumants devant Zeus qui comprend aussitôt l’horrible manigance de Lycaon. Tantale lui a déjà fait le coup, et il sait maintenant reconnaître l’odeur de la chair humaine! Cet acte de barbarie est l’acte de trop… Devenu incontrôlable, Zeus déchaîne toute sa colère: d’immenses éclairs strient le ciel de toute part et mettent le royaume d’Arcadie à feu et à sang. Partout, les hommes et les femmes crient et tentent de fuir le châtiment divin.

Lycaon est lui aussi saisi d’une terreur qui le paralyse. Il voudrait crier pour extérioriser sa peur, mais aucun son ne parvient à sortir de sa bouche. Il voudrait fuir, mais ces jambes semblent ne plus lui obéir. Cerné par les flammes qui consument avidement tous les biens précieux qu’il possède, Lycaon tombe à genoux. Bientôt, il retrouve l’usage de ses cordes vocales. Il peut enfin hurler, mais un son étrange s’échappe de sa bouche… En panique totale, il découvre maintenant avec horreur que des poils immondes se mettent à pousser sur son corps. Lui qui avait autrefois la peau si douce, le voilà dorénavant recouvert intégralement d’une toison hideuse. Des démangeaisons intolérables commencent à lui faire perdre la raison. C’est maintenant tout son corps qui se transforme, ses articulations qui craquent, son visage qui s’allonge! Sous les yeux médusés de ses anciens serviteurs, Lycaon est en train de se transformer en un monstre effroyable.

Quelques minutes plus tard, la métamorphose du souverain d’Arcadie est achevée. C’est une créature énorme, comme nul homme n’en a jamais vu, qui fuit son ancienne demeure sans demander son reste. Lycaon reprend petit à petit le contrôle de son nouveau corps. Il a un goût âcre dans la bouche. Le goût de la mort. Le goût du sang. Dorénavant, il lui faudra tuer avec ses propres dents pour survivre. Lycaon ne méritait pas le nom d’homme, Zeus a décidé de le transformer en loup.

Transformation de Lycaon en loup, illustration d’Hendrik Goltzius pour le livre des Métamorphoses d’Ovide (1589)

Pourtant, la colère du dieu des dieux est loin d’être retombée. Il vient de détruire un royaume, mais il a conscience que tous les autres ne valent guère mieux. Comment va-t-il réagir pour tenter de remettre l’humanité sur de bons rails? Vous le saurez bientôt, cher lecteur! [lire la suite: L’Humanité passe en version 2.0]

Quelques compléments d’info sur la légende Lycaon

Dans certaines variantes, Lycaon est transformé en loup parce qu’il a osé sacrifier un humain sur l’autel de Zeus (le concept de l’invitation à manger à la table du souverain n’étant donc ici qu’une métaphore). Le destin de Lycaon n’est pourtant pas scellé à jamais, Zeus lui mettant un marché entre les mains: si, durant sa transformation en loup, il parvient à s’abstenir pendant neuf ans de manger de la chair humaine, le dieu lui rendra son apparence humaine.

Dans une autre variante, Lycaon est un homme juste et bon et ce sont ses 50 enfants qui le poussent à commettre ses horribles crimes.

Vous l’aurez deviné par vous-même, c’est cette légende qui est à l’origine du terme de lycanthrope, autre nom donné aux loups-garous. Pour ceux d’entre vous qui préfèrent les vampires, vous pouvez toujours vous rabattre sur l’histoire du vampirisme à travers les siècles…)